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Rimes Andalouses

Sommaire: 

1. Couleurs adalouses

2. Cervantesques chimères

3. C'est faute au soleil

4. Le bon vouloir

5. Le fantôme de Tragabuches

6. Cendres

7. Séville, nuit d'été

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Couleurs andalouses

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Jaune, le râle du vent,
les relents du soleil,
le seigle et le chiendent
dans les champs qui sommeillent.

Jaune, la moiteur du lit
d'un torrent qui s'assèche
sous le ciel de midi,
l'herbe rebelle et rêche

où j'allongeais ton corps,
dénouais les rubans
luisants d'aurore et d'or
qui ceignaient tes seins blancs.


Blanc, le sel et le pain,
les cimes d' El Mulhacen,
la vierge et le matin,
la chaux vive et l'arène.

Blanc, l'éclat du couteau,
la folie de la lune
sur le fil de ta peau,
le ressac et l'écume ;

La médina tordue
la taverne et l'église
la candide vertu
de ton nu qui me grise.

 

Grise, la mule fourbue,

la fève et le pois chiche,

l'olivier biscornu,

la bouffée du haschich


 



à tes lèvres moroses.
Roses, les soirs enivrés,
quand la chaleur arrose
ta gorge déployée ;

Le clin d'œil et l'œillet
sur le pli de ta frange,
les fleurs et les reflets
aux effluves d'orange.


Orange, les alcazars,
la terre gorgée de feu,
le galop des guitares
chargées de notes bleues.

Bleu, le fil des collines,
les ombres du patio,
la tristesse enfantine
des premiers Picasso ;

le miroir de l'Afrique
divaguant sur la mer,
l'appel des Amériques
dans les cieux découverts.


Vert, l'odeur de la menthe,

les chants de l'Alhambra,

les yeux de mon amante

et les vers de Lorca ;

 

La fleur qui cherche à naître

sous le voile de l'Islam,

les barreaux aux fenêtres

où se cachent les femmes.
 

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Verts, les prés en hiver

Sous le crachin furtif

Constelé d'éphémères

Coquelicot rouge vif

 

Rouge, pareil à la fleur,
sauvageonne, écarlate,
ton cœur s'embrase et meurt
dès que l'averse éclate.

Rouge, mon âme jalouse,
la douleur et l'ombrage,
mes couleurs andalouses
sous les feux de l'orage.

Rouge le soleil blessé,
dérouté chaque soir,
qui cherche à déchirer
des lambeaux de nuit noire.


Noire, l'amère procession,
les pénitents qui portent
les macabres passions,
les vieilles aux pas des portes ;

les rêves exilés
les anges d'Alberti
le taureau terrassé
ta photo qui jaunit.

Cervantesques chimères.

 

 

Les monstres engendrés par la Raison qui rêve

Ne peuvent être vus que par les yeux des fous ;

Sur le fil du rasoir, quand leurs orbites crèvent,

Dans l’ombre de Goya fuient les chiens andalous.

 

L’insensé se révèle au prisme des Lumières,

Ses yeux en négatif voient dans l’Espagne noire

Aigles de Gernika, charognardes chimères

Et vieux démons enfouis dans les trous de mémoire.

 

Aveugle est le mendiant guidé par Lazarille

Qui lui crache à la gueule et lui dit qu’il a plu ;

Aveugle, le taureau bardé de banderilles

Et le dévot voûté dans son monde perclus. 

 

Dans le spectre infrarouge, attendent, clairvoyants,

Des armées d’indignés, six millions d’invisibles,

Aux portes du soleil, contre rois et géants,

Les fils de Don Quichotte exigent l’impossible.  

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C'est la faute au soleil

Il est trois heures de l'été... / Et dans les rues, pas un chat

Ou alors des chats crevés / Bouffés par les cancrelas

Qui crépitent dans les poubelles / Le long des rues avachies

Et grignottent dans ma cervelle / Mes ardeurs et mes envies

 

Il est trois heures de rien / Le chaleur mord dans les chiens

Et des cohortes de mouches
Me piquent les mots de la bouche ;
Le soleil darde des flèches
Qui fauchent mes rêves en plein vol,
Les éparpillent en flammèches
Et les clouent contre le sol.

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Et si j'ai l'air fatigué,
Si j'ai le cœur aride et ridé,
Si mes caresses sont devenues rêches,
Si je pleure des larmes sèches,
Si mon amour s'ensommeille,
C'est pas ma faute,
C'est la faute au soleil.

Cela fait depuis toujours
Que je ne dors plus mon amour,
Et depuis très exactement
Trois heures, trois jours, trois ans,
J'entends
Un putain d'orage éclater,
Mon amour, en plein cœur de l'été.

 


Il est trois heures du mois d'août / Crucifié par le soleil,
Happé par l'ombre du doute, / Je sais déjà qu'au réveil,
Je devrai abandonner / Ma vieille peau qui m'asphyxie,
Pour continuer écorché / Mon long chemin dans la nuit…

Et quand j'aurai quitté ma peau, / J'épancherai à la fontaine
Le sang qui bout dans mes veines / À grandes rasades de diamants d'eau ;
Puis tout là-haut sur la colline, / J'irai porter mon corps en terre,
Dans l'ombre fraîche et longiligne / D'un des cyprès du cimetière.

Et si j'ai l'air ombrageux,
Bouffi, tari, cafardeux,
Si mon âme est à l'orage,
Si j'écume des mots de rage,
Si dans ma tête bourdonnent les abeilles,
C'est pas ma faute
C'est la faute au soleil.

Cela fait depuis toujours
Que je veux partir d'ici,
Que je deviens fou, mon amour,
Que je cours au ralenti,
Que le temps s'est arrêté
Il y a très exactement
Trois heures, trois jours, trois ans,
Dans le plein cœur de l'été.

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Le bon vouloir.

 

Depuis que je suis vieux / Je ne dis plus « je t’aime »

Mais je dis « je te veux » / Comme disent les espagnols

Je te dis « te quiero » / Comprends-tu les paroles

D’un mort-la-faim, d’un gueux / D’un enfant de bohème ?

1. L’amour est bien amer / Je te veux je préfère

Et je veux te prouver /  Ma bonne volonté

Mais aimer c’est douter / Aimer ça ne vaut guère

Car je ne veux que toi / Et je peux tout aimer

C’est sans doute un peu court / pour un aveu d’amour

Mais laisse-moi te dire / Jusqu’où va mon désir

Non, ça n’est pas la foi / Qui soulève les montagnes

Ni l’amour, moi je crois / Qu’c’est quand on veut qu’on gagne

 

Travailleur acharné / Je creuserai ce tunnel

Pour franchir ce sommet / Et t’atteindre, ma belle

Aimer c’est juste un songe / Pour consumer sa flemme

Aimer c’est un mensonge / Bon pour faire un poème

Car c’est bien inutile / D’offrir son cœur aux flammes

Car aimer c’est facile / C’est un constat de l’âme

Une marque indélébile / Tu m’aimes et c’est signé

Surtout ne rien changer / Pour éviter les drames

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Chanson "le bon vouloir", concert au bateau ivre 2004

 

2. Je te fais cet aveu / Je te veux mais jamais / Je ne dirai « je t’ai » / car t’avoir c’est bien peu / Je veux vouloir toujours/ Le désir va croissant / C’est plus fort que l’amour / Que de vouloir défier le temps

 

Je ne dis pas « je t’ai » / Car si je t’ai qu’aurai-je / Encore à désirer ?  / Se marier, puis mourir ? / Si je t’ai que voudrai-je ? / Une plus longue laisse ? / Un chapelet de maîtresse / Pour nouer mon désir ?

 

C’est à l’envers qu’on dit / « je tiens à ma liberté » / Quand vient le compromis / On se laisse enchaîner / Moi, je ne suis pas libre / J’entends le devenir / Entends l’envie qui vibre / Qui ne peut s’évanouir

 

Je désire tant ton corps / J’en veux jusqu’à la mort / Tous deux nous serons forts / Ô ma libre compagne / Je te dis « Te quiero » / Car tu sais qu’en Espagne / Au pays de Cocagne / On bâtit des châteaux…

Le fantôme de Tragabuches

(poésie en prose)

Tragabuches (dont le nom signifie, en patois andalou, "celui qui mange des ânes") était un bandolero, contrebandier, cantaor et torero gitan qui sévissait dans la Sierra de Ronda au début du XIXème siècle. Particulièrement violent, il assassina un jour sa compagne, une célèbre bailaora de Ronda, ainsi que son amant. on ignore la date exacte de sa mort, peut-être en 1817, et on n'a jamais retoruvé sa dépouille...

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Portrait de Tragabuches. Gravure d'époque

Ce soir, dès que les collines auront englouti l'azur, je partirai. J'irai par le sentier des contrebandiers, seul et sans bruit, en traînant mon ombre tordue parmi les oliviers, vers les cimes acérées de la Sierra. Là-haut sous les sommets, la nuit sera plus noire que mon âme et les soupirs du vent plus légers qu'un souvenir.

Je m’assiérai sur un trône de rochers froids, dans les entailles d'une chapelle éboulée, au fond d'un lit de ronces et d'un nid de vipères assoupies. J'enfouirai mes pieds dans la glaise, pour être sûr de ne pas m’envoler, et battrai ma coulpe douze fois pour sonner la minuit.

Ensuite, j'aboierai en direction des abysses : des lévriers meurtris, au loin dans les hameaux, répondront à mon cri. Nos échos emmêlés couleront par monts et par vaux, ricocheront dans les défilés, et viendront réveiller le fantôme de Tragabuches, le plus fou des bandoleros, qui jadis régnait en seigneur et maître de Séville à l'Afrique. Le souffle fumant de son fier alezan embrumera mon esprit, troublera mes pensées, et son sabot zélé martèlera la cordillère pour fendre mon cœur de pierre en mille fracas. Puis le brigand partira courser la grande Ourse, et dans son sillon s'envoleront les cendres du passé.

De nouveau esseulé sous les cieux endeuillés, je déroulerai le fil de mes idées noires et le lancerai dans l'alizé. Je le lancerai, toujours, encore, jusqu’à parvenir à décrocher un anneau de Saturne. J'y nouerai six rayons de lune, que je pincerai sur ma rosace constellée, et mes doigts inspirés brûleront aux feux des seguiriyas écorchées, des rasgueos amers et des songes gitans. Au son de ma mélodie silencieuse, la colline se peuplera de fantasmes voilés, de chimères opaques et de vierges effarouchées. Je tituberai avec elles, auréolé d'agaves, de lauriers et de bougainvilliers, dans une grande farandole ; mais quand cessera la danse, grand prince, je les épargnerai, et sans les déflorer, les laisserai s'évader affolées dans la vallée.

Je regrouperai mes ultimes ardeurs et mes peines encore vives pour en faire un grand feu. Mon sang en bouillant dans mes veines m’enivrera aux chaleurs de l’aube. Alors, j’invoquerai mes souvenirs d’enfance pour mieux les oublier en buvant mes paroles. Enfin, ivre mort sous le ciel de sirop, à la lueur d’un couteau rougi par le soleil mandarine, je ferai le serment de ne jamais achever ma fête. Je trancherai mes deux bras et les clouerai dans la terre. Mon sang uni à la boue rubiconde descendra la colline, lentement, goutte à goutte… Vers midi, la rigole, gorgée de soleil, atteindra le village, et cette rivière d’or s’écoulera dans les ruelles tortueuses de l'ancienne médina, pour venir mourir à tes pieds.

CENDRES

Qu’est devenue la cendre
perdue dans les méandres
de l’Odiel, à Huelva ?
Je ne sais où elle va,
où elle s’est dispersée.

Je l’avais déversée
tout au bout du vieux quai,
entre un dépôt de sel
et deux cargos échoués
oxydés au soleil.

S’est-elle annihilée
dans le flux des marées,
ou s’est-elle enkystée
dans le fond de l’estuaire ?
A-t-elle atteint la mer ?

 



Qu’importe, la poussière
inerte est éternelle,
les débris des fumées
refusés par le ciel
ne peuvent s’envoler ;

Et quand je pense à toi,
mon amour immolé,
je sais que tu es là,
divaguant au hasard
dans d’infinis départs.

Ces poignées d’escarbilles,

que les flots éparpillent,

c’est le peu qu’il restait

du corps évaporé

de celle que j’aimais,





Et cette poudre d’elle
ne saurait disparaître.
Quelques cendres, peut-être,
se sont changées en sel
dans la vase à Huelva ;

Certaines, au-delà,
vont vers le nouveau monde ;
et d’autres, vagabondes,
échouent, toujours, encore,
sur les rives des Maures.

Une ultime poussière
est restée dans les airs.
Lorsque les jours se grisent,
et que souffle la brise,
elle est sous ma paupière.

Et je pleure,
le cœur
en cendres.

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Dessin de Tomás Milhou

Ría de Huelva

Séville, nuit d'été


Séville en été grouille de parfums, de couleurs et de bruits. Elle frissonne et palpite, toujours aux limites de l'orage, qui n'éclate jamais qu'aux débuts de l'automne. En attendant elle somnole, sans vraiment parvenir à dormir, elle est sur le qui vive, tour à tour électrique, nonchalante, impatiente, résignée, taciturne et festive. Elle s'active le matin, s'étouffe à midi, meurt après manger, ressuscite à la nuit

 

Vers dix heures du soir, les premières effluves de fraîcheur diffusent pèle-mêle des senteurs d’orange, de friture, de sueur et de diesel. Les lauriers roses jaillissent çà et là de l'asphalte. Les bougainvilliers écarlates et mauves dégoulinent sur les murs trop blancs des façades, les ombres bleuissent lentement en décrivant des arabesques. Les cafards sortent de leurs trous, les junks et les “chulos” aussi, l’exta et la gomina coulent à flots (ici il fait si chaud que la dope est liquide), la bière fait de la buée sur les lunettes de soleil, les touristes fléchissent, avachis sur les terrasses, où ils meurent à petit feu, à contre-temps. Les motos pétaradent, les klaxons chantent et caquètent, les carrioles brinquebalent sur les avenues en agitant leurs grelots, les vitres grandes ouvertes des bagnoles des rats de discothèque crachent à tue-tête des bribes de flamenco rap ou de reguetón dans le souffle glacial des airs conditionnés. Au feu rouge un pauvre africain essaie de vendre en vain des kleenex aux conducteurs, en plein été ce n'est pas gagné, les grands-mères font des slaloms entre les taxis tandis que les chauffeurs se charrient parce que le Bétis est relégué en deuxième division alors que le Séville est en champions league (une véritable tragédie). Les gosses, eux, ils s'en foutent, ils préfèrent dribbler les passants pour aller marquer le but de leur vie de l'autre côté de la place. Les petites filles, déguisées en putes, chantent et tapent dans leurs mains en allant se bourrer la gueule dans les parcs publics. Les vraies putes, quant à elles, commencent à tapiner aux coins des rues, aux côtés des vierges bariolées qui chialent entre deux cierges dans leurs cages en verre.

 

Comme tous les soirs, je sors de ma torpeur et descends dans la rue. Je me sens léger, je n'ai plus mon ombre à trainer derrière moi. Je vais à grand pas dans les rues serpentines. L'ocre des églises baroques scintille en répondant aux enseignes lumineuses. Les serveurs s'agitent sur les terrasses où les clients s’engueulent à qui mieux mieux avant d’éclater en fou-rire. Je continue mon chemin, pressé -on est toujours pressé en été à Séville, même si on a rien à faire – pour aller m'assoir sur les quais du quartier de Triana et y retrouver des amis. Et là, on attend que le soleil incendiaire se noie tout à fait dans le Guadalquivir. La Torre del oro bascule sur l'onde, son reflet semble gracile, elle pourtant si trapue. Serait-ce la nuit qui nous rend tous plus beaux? Tout Séville s'illumine et commence à ressembler à une gigantesque discothèque, la tour de la Giralda s'enguirlande comme un grand phare endimanché dans la nuit pourpre. On commande des manzanillas et une ration de poissons frits. La manzanilla, c'est amer et fruité à la fois, c'est le café du soir, une boisson qui te réveille et qui t'excite. On en boit une, deux, trois... Et on part, prêts à consumer la nuit d'orage. Je ne dormirai pas avant la sieste du lendemain. La nuit est encore jeune...

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